A3. Collaboration ou coopération?

Comme le soulignent Henri et Lundgren-Cayrol (1997), les concepts d’apprentissage coopératif et d’apprentissage collaboratif sont souvent confondus tant en ce qui a trait à l’apprentissage qu’à la démarche de travail. En fait, les démarches que l’on qualifie de collaboratives se situent dans un continuum allant de la coopération à la collaboration; ces démarches peuvent ainsi être considérées plus semblables à des pôles qu’à des catégories exclusives. Pour les différencier, il est important de bien saisir les nuances relatives à l’autonomie et au contrôle, aux moyens utilisés pour atteindre le but et effectuer la tâche, et de bien différencier le niveau d’interdépendance existant entre les participants.

Les groupes coopératifs et collaboratifs travaillent généralement en vue d’atteindre un but commun ou partagé. La façon d’atteindre le but par la coopération repose sur la distribution des tâches et des responsabilités au sein du groupe, tandis que la collaboration exige une responsabilité individuelle pour atteindre le but (figure 1).

Figure 1. Distinction entre les démarches coopérative et collaborative, d’après Henri et Lundgren-Cayrol (1997).

La tâche coopérative est différente pour chacun des participants et elle s’accomplit habituellement par un procédé de spécialisation. Le groupe est alors divisé en équipes (comprenant généralement de deux à cinq membres) et les tâches peuvent varier d’une équipe à l’autre. Chaque membre de l’équipe est responsable de réaliser une sous-tâche. La tâche est considérée complète lorsque tous les membres de l’équipe (ou toutes les équipes) mettent en commun leurs réalisations. La tâche collaborative, par contre, est semblable pour tous les participants. Dans un contexte d’apprentissage, elle repose sur des activités d’exploration du contenu, d’élaboration des représentations et de communication d’idées et de connaissances. Cette démarche est d’abord individuelle : l’apprenant puise dans l’environnement d’apprentissage mis à sa disposition. Par la suite, il partage et met en commun ses nouvelles connaissances avec les autres apprenants. Le groupe représente donc un milieu de partage d’informations et de collaboration très riche pour l’apprentissage.

Dans la démarche coopérative, l’interdépendance entre les participants est très forte, car la contribution des uns n’a de sens que si elle est complétée par le travail des autres. La complémentarité des tâches et leur étroite coordination créent un effet d’interdépendance réciproque. La démarche collaborative, de son côté, valorise une interdépendance à caractère associatif. Ce qui importe, pour les membres, c’est d’être ensemble, de mettre en commun des idées et leurs réalisations et de trouver de l’inspiration, du soutien et de l’appui auprès du groupe.

La démarche coopérative est plus structurée et encadrante que la démarche collaborative, particulièrement en contexte d’apprentissage où elle vise à la fois l’apprentissage d’un contenu et le développement de l’autonomie chez l’apprenant. Cette démarche est d’ailleurs souvent utilisée auprès de jeunes apprenants ayant un faible répertoire de stratégies d’apprentissage. Toutefois, lorsqu’elle est utilisée auprès d’adultes autonomes, elle permet de développer de plus grandes habiletés à collaborer et augmente le niveau d’efficacité du travail en groupe. La démarche collaborative exige, par contre, un certain degré de maturité et la capacité de travailler en groupe, de façon autonome.

L’autonomie et le contrôle sont donc les deux principales variables qui permettent de différencier les démarches coopérative et collaborative (figure 2). Tout au long de son apprentissage, l’apprenant est amené à faire le passage d’une démarche à l’autre en prenant graduellement de plus en plus de décisions et de responsabilités. Cependant, il ne faudrait pas croire que les démarches coopérative et collaborative sont incompatibles. Il est en effet possible de les jumeler, par exemple en insérant certaines tâches coopératives dans un apprentissage collaboratif. En fait, les deux modes ont une place dans l’apprentissage, selon la tâche à réaliser et le contexte d’application.

Figure 2. Évolution de la démarche d’apprentissage. 

Soulignons également que si l’apprentissage collaboratif est généralement le fruit d’une stratégie pédagogique qui le prévoit et l’encadre, il existe aussi des formes d’apprentissage collaboratif spontané. En effet, des études ont montré que des groupes peuvent se former, sans rendez-vous préalable ou sans organisation prédéfinie, pour travailler ensemble dans ce mode.

Le tableau 1 présente une synthèse des caractéristiques des deux démarches d’apprentissage.

TABLEAU 1
Comparaison des apprentissages coopératif et collaboratif, des points de vue
pédagogique et organisationnel, d’après Henri et Lundgren-Cayrol (1997)

APPRENTISSAGE

COOPÉRATIF

COLLABORATIF

But pédagogique

Faire apprendre la matière prévue, développer d’éventuelles habiletés de collaboration.

Aider l’apprenant à atteindre un but et des objectifs personnels, l’aider à apprendre à sa manière.

But d’apprentissage

But commun imposé, atteint collectivement par le groupe.

But commun partagé, atteint individuellement.

Contenu

Contenu structuré, généralement présenté par le formateur.

Structure à découvrir, à explorer et à élaborer par l’apprenant sur une base individuelle ou en groupe.

Situation d’apprentissage

Apprentissage en équipe; on utilise la réalisation d’un travail collectif pour apprendre.

Apprentissage individuel, mais partage des ressources de l’environnement. On utilise la dynamique et le travail de groupe pour apprendre.

Activité pédagogique

Structure imposée. Démarche guidée.

Structure souple et ouverte. Parcours libre pour l’exploration et la découverte.

Tâches

Distribuées entre les différents apprenants.

Réalisées individuellement de façon personnelle, sans exclure la possibilité de réaliser une tâche coopérative.

Composition du groupe

Selon la situation et le profil du groupe, le formateur peut décider de la composition du groupe. Il visera préférablement l’hétérogénéité du groupe.

Décision laissée à l’apprenant; en accord avec le formateur, il choisit ses partenaires.

Organisation du groupe

Formelle, méthodique et systématique.

Informelle et souple.

Participation

Obligatoire.

Volontaire et spontanée.

Responsabilité du formateur

Il organise, supervise et encadre l’apprentissage. Il facilite l’accès aux ressources.

Il est davantage un facilitateur, qui fournit de l’aide sur demande et anime le groupe lorsqu’il détecte un besoin prononcé. Il est une ressource parmi d’autres.

Responsabilité de l’apprenant

Il est responsable de la tâche confiée, dont l’exécution est coordonnée à celle des autres.

Il est responsable de son apprentissage, mais il est également engagé envers le groupe.

Évaluation

Habituellement sommative, portant sur la production finale de l’équipe. Notation de groupe. Toutefois, il peut y avoir une évaluation formative par un retour sur la démarche du groupe.

L’évaluation formative est plus appropriée. Elle porte surtout sur les connaissances acquises et donne un diagnostic individuel des stratégies métacognitives et du processus d’apprentissage. Les apprenants contribuent à l’évaluation en donnant leur appréciation sur le fonctionnement sociocognitif du groupe (cohésion et productivité).